samedi 13 décembre 2008

Immigration

Dans le train qui nous ramenait des Blue Mountains vers Sydney, samedi dernier, je parlais en français avec Charlotte et Sandrine, mes deux compagnes de voyage (oui, je sais, nous aurions dû parler en anglais). Une femme assise à côté de nous, constatant que nous étions étrangers, nous a demandé si la vie à Sydney nous plaisait. Lorsque nous avons répondu «oui», sa réaction immédiate a été: «Alors vous devriez rester». Je crois qu’en Europe, on encourage plus souvent les étrangers à rentrer chez eux qu’à rester. Au-delà de son caractère anecdotique, cette réaction rappelle que l’Australie est un pays d’immigration, dans lequel la plupart des gens se définissent comme des immigrants.



Sydney est d’ailleurs l’une des villes au monde ayant la plus forte proportion d’habitants nés à l’étranger. Elle ne parvient certes pas à rivaliser avec les grandes métropoles nord-américaines – en raison de l’importante immigration cubaine, c’est Miami qui arrive en tête du classement avec 59% d’habitants nés à l’étranger ; Toronto (44%), Los Angeles (41%), Vancouver (37%) et New York (36%) complètent le podium. Avec 31%, Sydney surpasse néanmoins les grandes villes européennes comme Londres ou Paris.

Au niveau de l’Australie dans son ensemble, les chiffres du dernier recensement indiquent que près de 24% des résidents australiens sont nés à l’étranger et que 45% d’entre eux sont nés à l’étranger ou ont au moins un parent né à l’étranger.

Le tableau n’est pourtant pas si simple. Une des seules choses que je connaissais de l’Australie avant de venir était la «White Australia Policy». L’objectif de cette politique était de créer une société culturellement homogène. Concrètement, elle signifiait que seuls les Européens – et pendant longtemps seuls les Britanniques – pouvaient immigrer en Australie.

Le «Immigration Restriction Act» adopté en 1901 visait en effet à exclure tous les migrants non européens. Pour éviter de faire directement appel à un critère racial dans la loi, l’instrument utilisé était un «dictation test»: les candidats à l’immigration devaient réussir une dictée de cinquante mots dans une langue européenne, pas nécessairement l’anglais, dont le choix était laissé à la discrétion de l’officier d’immigration. C’est l’islandais, m’a-t-on dit, qui était habituellement utilisé. L’objectif était notamment d'empêcher l’immigration chinoise. Il ne devait manifestement pas y avoir beaucoup de chinois parlant couramment l’islandais, puisque la population non européenne (à l’exception des Aborigènes) présente sur le sol australien ne s’élevait en 1947 qu’à 0,25% de la population totale. L’Australie avait ainsi réussi à être l’un des pays les plus «blancs» du monde.

À la différence des États-Unis, dont l’acte de naissance est une «déclaration d’indépendance» par rapport au Royaume-Uni, l’Australie, la colonie britannique de substitution, est restée fidèle à la mère patrie et a longtemps eu pour ambition d’être une «new Britannia» des mers du Sud. Durant la Seconde Guerre mondiale, le premier ministre australien John Curtin pouvait encore affirmer: «this country shall remain forever the home of the descendants of those people who came here in peace in order to establish in the South Seas an outpost of the British race». Alors que l’immigration non européenne était combattue, l’immigration britannique était en revanche explicitement encouragée, voire directement subventionnée. Même après la Seconde Guerre mondiale, l’Australie subventionna l’immigration de Britanniques, ces «Ten Pound Poms» comme ils furent populairement désignés, qui n’avaient payé que dix livres pour leur voyage.

Avec la fin de l’Empire britannique, il n’était toutefois plus possible pour l’Australie de continuer à s’isoler de sa zone géographique et de concentrer toutes ses relations commerciales et culturelles avec le Royaume-Uni. La Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les Anglais n’ont même pas pu défendre Singapour, a servi de révélateur à cette nouvelle situation. Les efforts déployés par l'Australie pour attirer des immigrants provenant d’autres pays d’Europe se sont aussi heurtés à la prospérité économique du Vieux Continent.

C'est pourquoi l'Autralie a décidé, au début des années 1970, d'abolir sa «White Australia Policy» et de développer ses relations avec ses «voisins» asiatiques. Même si cette décision représente un cas intéressant de conversion explicite et consciente au multiculturalisme, la politique d’immigration australienne a toujours été conçue comme un instrument extrêmement contrôlé au service de fins politiques précises. L’Australie pratique aujourd’hui encore une politique ciblée d’«immigration choisie». Ce n’est notamment pas par hasard si on rencontre tant d’Asiatiques dans les rues de Sydney, et quasiment aucun Africain, par exemple.

La politique d'immigration en Australie est donc bien différente de celle des États-Unis ou du Canada. Nulle «Statue de la liberté» accueillant les réfugiés dans la baie de Sydney et proclamant au monde: «Give me your tired, your poor, your huddled masses yearning to breathe free,…»

Il n'empêche, j'ai l'impression que Sydney possède aujourd’hui cet état d’esprit particulier des sociétés d’immigration que même les pays européens les plus ouverts ne connaissent sans doute pas: chacun, ou du moins la majorité, se conçoit comme un immigrant et ne perçoit pas les autres comme des «étrangers» devant s’adapter.

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